La nuit n'a pas encore terminé son cycle que déjà, Jax a ouvert grand ses yeux, en proie au doute et à la peur. Le plafond le fixe avec stupeur. Vient-il vraiment de voir ces choses là alors qu'il était profondément endormi? Des chiffres qui lui font froid dans le dos, un rêve qui est vite tourné au cauchemar. Du rouge, du rouge, que du rouge, au détriment du bleu. Un nombre qui s'envole et réduit tout espoir à néant. Il y croyait jusqu'à maintenant. Là, il espère tellement se tromper. Mais malheureusement, ses intuitions ne le trompent que très rarement. Toute la journée, il fait semblant, étire ses lèvres à qui voudra bien lui tendre sa face. En tant que cadre du parti à échelle de Dallas, tu ne peux pas te permettre de montrer le moindre doute. Voter n'est qu'une formalité, mais penser au reste de l'état qui risque ne pas voter pour la même couleur en est une autre. Ca enfle à l'intérieur, le doute. Jax se gave d'anti-acides mais le mal est bien plus profond.

Il ne rentre même pas à la maison, direction le quartier général local. Il y a de la musique. Un buffet. On n'a pas osé sortir le champagne pour ne pas porter le mauvais oeil. Il y a quand même de la bière, à défaut d'autres alcools forts. Ca console déjà un peu les reflux. Les résultats de l'Est commencent déjà à tomber. Du bleu s'anime et les applaudissements fusent. Les petits fours partent comme des petits pains. Et puis les états établis républicains se remplissent de rouge, les huées attendues couvrent la foule. Et puis la stupeur. Quelques pleurs ça et là, l'Ohio est passé républicain. C'est fini. La Floride ne tarde pas à suivre. Il revoit ses divagations nocturnes se produirent, la réalité qui dépasse la fiction. Jax en est à la cinquième bière de la soirée et il n'est plus si sûr finalement, que tout cela est concret et tangible. Il a les yeux rivés sur son portable, la page du New York Times allumée en permanence. L'aiguille de probabilité divague trop vers la droite. Les probabilités d'un futur meilleur s'amenuisent. Et bientôt, la barre des deux cent soixante-dix est atteinte, il est impossible de revenir en arrière, de voir enfin une femme à la tête de ce pays. Il a envie d'ouvrir une nouvelle bouteille mais se restreint. Pas deux fois à l'hôpital dans la même semaine. Il a besoin d'eau.

Dans le couloir, il croise un des jeunes du parti. Un revenant, serait plus juste pour qualifier Leonard Dickens, qu'il n'avait pas vu depuis des lustres. Son attitude ambigüe a, depuis toujours, bien intrigué le procureur de Dallas mais sa compagnie n'en est pas moins agréable. Comme nous tous, il digère forcément mal la nouvelle. Il l'interpelle, tente de faire de l'humour, mais la chute ne tombe pas forcément juste, vu le contexte. "Le capitaine n'a pas abandonné le Titanic quand il a coulé," se contente-t-il, sans pour autant se prendre pour le leader du parti. "M'enfin, je n'ai attendu personne pour l'alcool," renchérit-il, pas sûr d'avoir l'esprit toujours clair. Il aurait peut-être du manger quelque chose. Il a évité les manifestations de son estomac toute la soirée, plus préoccupé par le futur de son pays. "Il n'y a rien d'assez fort pour oublier ici, tu veux pas sortir prendre l'air?" propose-t-il, dépité. A cette heure-ci, il doit bien encore y avoir des établissements d'ouverts.