- Tacos, tulips, ducks and spices -

¤ Gabriel a de légers troubles du comportement. Enfin légers…  Il est très particulier quant aux contacts physiques et en général ne les apprécient pas. Même serrer une main tendue est pour lui une épreuve. Il est aussi rempli de tocs et peut vite se troubler et se renfermer quand il ne maîtrise pas quelque chose. Sa routine est très calculée et il n’aime pas en varier. Dans des cas d’extrême angoisse, il peut même se mettre à bégayer. Très à cheval sur l’hygiène, il peut très bien se retrouver à frotter le carrelage de sa baignoire à la brosse à dents, surtout s’il est troublé. Peut-être que si l’on se penchait sur son cas médical, on pourrait facilement mettre un nom sur ce qu’il a/est. Asperger. Angoissé par les maladies, mais aussi facilement perturbé quand la situation lui échappe, il peut alors entrer dans une crise dont l’intensité varie du mutisme à l’automutilation.
¤ C’est quelqu’un de très ouvert aux autres cultures et qui aiment les voyages ainsi que la découverte de cuisine exotique. Si la plupart des aspects de sa vie sont régulés par une routine avec très peu de surprise, il aime se rendre dans un restaurant au hasard et goûter à des plats qu’il ne connaît pas. C’est un gourmand et un fin gourmet. Il est capable de nommer les ingrédients présents dans n’importe quelle préparation et possède un nez très fin ce qui en fait un amateur de vins mais pas seulement.
¤ C’est un homme très strict qui aux premiers abords peut se montrer très froid. La vérité c’est qu’il ne se laisse aller que très rarement et qu’il veille sans cesse à son image. Pourtant il peut se montrer très affable lorsque l’occasion lui est présentée et quoi que l’on en pense, il choisit toujours les œuvres de charité auxquelles il fait des dons avec beaucoup d’attention. Un cœur tendre caché sous une coquille glacée.
¤ Il a une grande passion pour son métier et un dévouement extrême pour ses élèves si bien qu’on peut le trouver facilement dans la bibliothèque sur le campus a des heures indues. Bien que d’un naturel réservé, il est facile de le voir s’émerveiller sur son sujet de prédilection. Véritable mine d’anecdotes et puit de savoir, il a le respect de ses collègues mais aussi la tendresse de ses élèves qui aiment bien le charrier et le voir s’empourprer. Pourtant pas de chahuteries excessives lors de ses leçons, il est de ceux que l’on écoute.
¤ Il a un sens du style qui doit dater des années 50. Cheveux sagement mis en place à la gomina, parfois des moustaches qui viennent d’un autre monde, il porte ses costumes en tweed brun trop hauts sur la taille et comble de l’horreur, avec des bretelles. Mais cela lui correspond plutôt bien, à lui et son allure et ses manières un peu comiques.
¤ C’est un grand amateur d’art, et d’opéra en particulier. Il sait jouer du piano, comme tout garçon de bonne famille.  C’est l’un de ses grands plaisirs, de se rendre à un spectacle et il s’associe souvent au professeur de musique pour organiser des soirées de sorties pour les étudiants. Quand le budget de la fac ne le permet pas, il est d’ailleurs celui qui les finance.
¤ La famille Conroy est très aisée. A un point qui donnerait le tournis au plus bourgeois des bourgeois. Gabriel est donc habitué au luxe et très peu enclin à s’en défaire. C’est aussi parce qu’il lui est difficile de se défaire de ses habitudes et que la moindre variation est un choc pour lui.
¤ Catholique pratiquant. Mais plutôt comme on pratique le sexe avec préservatif, c’est-à-dire sans réelle envie. Il s’y plie parce que c’est de bon ton mais il n’est pas persuadé d’être dans le juste. Ne pas se rendre à la messe du dimanche lui donnerait pourtant facilement de l’urticaire. Imaginaire bien sûr.
¤ Il se plie à son devoir conjugal quatre fois l’an. Pas une de plus. Et cela fait longtemps qu’il fait chambre à part avec son épouse. Ils n’ont pas d’enfants et elle commence à se monter insistante et il en vient à être à court d’arguments pour la repousser. Chaque fois qu’il devient intime avec elle, il est obligé de prendre des cachets. Il ne sait pas trop si elle sait ou non.  
¤ Il a une hygiène de vie très stricte, avec repas équilibrés et des séances de squash très régulières et un jogging tous les matins mais il n’a jamais pu arrêter de fumer. Pour ce qui est de l’alcool, toutes les réserves de sa maison sont sous clé, et il essaye de ne jamais y mettre le nez quand il est seul.
¤ Le thé a sa préférence en toutes occasions et comme beaucoup d’éléments dans sa vie, il est soumis à un rituel très strict. S’il n’est pas préparé comme il le souhaite, il ne le boira pas. Mais par politesse il gardera toujours la tasse dans sa main et fera semblant d’y tremper ses lèvres.

- Is there a scarlet letter on my breast -




Elle est belle sa femme il le sait. Elle fait son thé à la perfection et elle a toujours ces petites attentions ridicules pour lui qui font rien de mieux que de l’agacer. Elle l’étouffe avec son amour. Et pourtant elle est jolie Beth, avec ses grands yeux verts, son nez en trompette et ses taches de rousseur. C’est juste qu’il y a quelque chose qui cloche en dedans de lui. Il la regarde et elle lui fait pas plus d’effet qu’une image sur papier glacé. Son corps il devrait crépiter de désir et il est juste mort. Ce n’est pas arrivé progressivement, ça a toujours été là. Beth, ce n’est pas lui qui l’a choisi de toute façon. Elle n’a pas cessé de le poursuivre depuis l’université. Parce que c’était commode, il s’est laissé faire. Trop vite, les gens ne disaient plus que Beth et Gaby. Gaby et Beth. Comme si on les avait collés ensemble. Il n’avait pas su défaire les nœuds. Il n’avait pas pu. Et ils s’étaient retrouvés mari et femme.
« Regarde-moi ça Gaby, tu t’es encore levé du mauvais pied. » Qu’elle râla avec sa voix douce, en glissant ses doigts dans ses cheveux roux pour remettre un peu d’ordre dans ses épis. Il ne se laissait pas aimer alors elle s’était mise à le materner. Parfois elle balançait des bibelots dans tous les sens. Elle lui demandait des comptes et il la prenait dans ses bras pour la rassurer. Mais sa peau contre la sienne le râpait comme du papier de verre. Et le contact de ses lèvres laissait un goût amer dans sa bouche. Elle était belle pourtant. C’était sous sa peau que ça venait le grignoter, dans ses veines. Chaque fois que quelqu’un le touchait.
« Tu sais, c’est bientôt notre anniversaire de mariage. Je pensais… Un voyage tous les deux. » Elle continuait de lui gratouiller le crâne et il était tout simplement au supplice mais il ne bronchait pas. Il avait connu pire. D’ailleurs peut-être que ça avait fini par flinguer les terminaisons nerveuses de son corps, parce qu’il ne fonctionnait pas comme il le devrait.
« Hum… Et si on faisait une grande fiesta ? Qu’on invitait des amis ? Quinze ans ce n’est pas rien quand même. Ca doit se fêter en grand. » Puis ça allait l’occuper, Beth, pendant quelques semaines au moins. Entre le traiteur, les fleurs, l’orchestre et tout le toutim. Il aurait un peu la paix. « … c’est quoi déjà ? Les noces de cristal ? » Fit-il en feignant de montrer de l’enthousiasme. Il allait devenir dingue en tête à tête avec elle dans un coin paumé.
Elle lui sourit et elle déposa un baiser sur le bout de son nez. D’un hochement de tête elle avait cédé, parce qu’elle le connaissait trop bien son époux. Il ne savait pas lui dire non, mais jamais oui non plus.
Il avait de la tendresse pour elle, quand même.




Gabriel avait retiré ses lunettes, qu’il nettoyait pensivement à l’aise de son pull en fronçant légèrement les sourcils, concentré sur la question lancée par un élève. Il avait de la craie sur le bout des doigts mais cette fois la saleté ne le gênait pas. Sur cette estrade, il était au mieux, dans un univers qu’il maîtrisait totalement. Les mots coulaient de lui sans buter sur le rebord de ses lèvres et il était presque sûr que la petite blague qu’il avait scrupuleusement préparée deux jours plus tôt avait fait mouche auprès de l’assistance qui l’avait gratifié de quelques ricanements timides. Illusion chaleureuse. Participation polie. Ce qui l’avait mis de très bonne humeur. Son explication lui permit de rebondir sur une anecdote particulière, qu’il aimait beaucoup. Il avait mis la craie sur son pantalon mais là encore ce n’était pas très grave. Il était trop bien lancé pour s’arrêter en pleine explication, sortir son mouchoir et tamponner les dégâts avec un peu d’eau.
« Peut-être que Monsieur Dickens peut nous éclairer sur ce-… »
« Il est pas là ! »
La surprise désarçonna un peu le professeur Conroy, qui se tourna alors vers le siège vide du jeune homme. Un point qu’il n’avait pas remarqué avant mais qui maintenant le troublait par sa singularité. Le jeune Dickens n’était pas du genre à manquer les cours, même s’il n’était pas toujours le plus attentif. Machinalement il était monté jusqu’au pupitre vide et la pulpe de son index retraçait des gravures faites dans le bois par des élèves dissipés ou amoureux. Cécilia and John Forever.
« Ca fait plusieurs jours qu’il est pas venu. Il répond pas au téléphone non plus. » Fait d’autant plus étrange, le petit brun avait toujours son appareil vissé à la paume, comme la plupart de ses camarades. Ils formaient ainsi un réseau de nouvelles si tendu qu’il était aisé de distinguer une anomalie ensuite quand elle se présentait.
« Monsieur Conroy ? » Interrogea la jeune femme qui l’avait renseigné, et Gabriel sortit d’une réflexion qui avait duré plusieurs secondes, se rendant compte qu’il s’était assis à la table.
« Pppp… pppeut-être que vvvous pouvvez répondre à la question Agnés. »