- Tacos, tulips, ducks and spices -
01: Aquaphobie. Viens on va nager Naël. C'est la phrase à jamais lui dire quand on est à la plage, jamais. L'eau et ses profondeurs l'effraient, comme une sorte de peur impossible à contrôler qui lui bouffent les entrailles. Et ça a démarré comme ça, d'un seul coup, une peur incontrôlable qui vient de nul part. Pourtant bon nageur, mais il peut plus, parce que dès qu'il se rend compte qu'il voit pas le fond, il a tellement peur qu'il peut faire une crise de panique. 02: Anthropophobie. J'suis pas amoureux de toi, je l'ai jamais été, j'ai aucune relation avec toi, casse-toi. Peur panique des gens, peur panique des relations sociales. Pas de contact physique, pas de contact social, c'est impossible pour lui. Il a cette peur constante de s'attacher, que ce soit amoureusement, amicalement, fraternellement. Il considère qu'il n'a pas d'amis, pas d'amours, et sa famille, c'est que sa famille, il refuse tout attachement social. Qu'on le laisse dans sa bulle, qu'on le laisse tranquille, même si au fond s'il pouvait, il crierait pour de l'aide, qu'on le sorte de cette phobie qui lui rend la vie impossible. 03: Acrophobie. Saute, c'est pas possible. Il ne peut pas. Peur des hauteurs, peur extrême du vide. Oh mais ça n'a pas toujours été le cas. Une chute lorsqu'il faisait de l'escalade avec son père lui a suffit pour avoir la phobie de ces grandeurs démesurées. Il est allé à l'hôpital ce jour-là, il a même faillit en mourir. Depuis, c'est presque impossible pour lui de se surélever de plus d'un mètre du sol. 04: Claustrophobie. Impossible à contrôler. Que personne ne lui dise que les portes sont fermées à clés, que personne ne l'enferme ou que ce soit. Naël, il est tellement effrayé qu'il pourrait se décider à monter douze étages à pieds plutôt que de se faire enfermer dans un ascenseur. Peur panique de se faire enfermer où que ce soit. Il pourrait faire une crise de panique seulement si quelqu'un tourne une clé dans une serrure. À ne jamais essayer, évidemment. 05: Asthénophobie. La peur d'être faible, la peur de s'évanouir, la peur que son propre corps s'affaiblisse. Il est déjà faible, il le sait. Mentalement, il ne peut plus être fort et ce depuis un bon moment. Il a juste peur maintenant que cette faiblesse se reporte sur son physique. Et plus il fait des crises de paniques, plus ce cauchemar devient réalité. Il s'affaiblit, il est malade, il le sait. 06: Evidemment ce serait beaucoup trop simple si Naël n'avait que des phobies explicables. Mais loin de là, il est également astraphobe (peur des orages), cheimophobe (peur des tempêtes), kénophobe (peur de l'obscurité), agoraphobe (peur des lieux publics), coulrophobe (peur des clowns), hématophobe (peur du sang) qui est en grande partie parce qu'il est hémophile, thanatophobe (peur de mourir) et atélophobe (peur d'être imparfait).

- Is there a scarlet letter on my breast -
Tu poses tes mains sur tes tempes. Respires Naël, tu te dis. T'es assis contre la porte de la pièce dans laquelle ils t'ont enfermés. Ils veulent pas te laisser sortir. Ils veulent pas t'entendre. Tu t'es déjà pris suffisamment de coups, alors tu les écoutes et tu pleures silencieusement. Si silencieusement que tu les entends parler de l'autre côté. Il est trop bizarre Naël, qu'ils disent de toi. C'est un monstre, c'est un imbécile, on l'acceptera pas parmi nous. T'as que onze ans, c'est pas de ta faute. Jamais t'as ressentis le besoin de t'attacher à qui que ce soit, jamais tu t'es senti obligé d'être accepté par qui que ce soit. Mais eux, eux ils t'avaient fait comprendre que tu devais l'être. T'entends un grésillement, en plus de l'orage dehors. Foutue colonie de vacances. Tu regardes par la fenêtre, tu t'es même levé pour t'en approcher. Et puis la lumière saute, et t'entends les adultes se plaindre dans le couloir que les plombs ont sauté. Kénophobie. Tu commences légèrement à paniquer. Alors t'es reparti vers la porte. T'avais besoin d'être proche de d'autres personnes pour ne pas trop paniquer. Tu les entends plus à travers la porte. Ils sont partis. Ils t'ont enfermé. T'avais pas envie de pleurer, pas du tout même, mais t'as senti tes larmes couler à nouveau sur tes joues. Alors t'es allé vers la fenêtre, qui ne s'ouvrait pas non plus. T'avais pas assez de force pour l'ouvrir. Et t'as réellement commencé à paniquer à partir de là. Non, tu pouvais pas être bloqué. Tu pouvais pas être enfermé, pas là, c'était pas possible dans ton esprit. Toute cette panique t'empêchait même de respirer. Mais t'as réussi à retourner à la porte et à frapper dessus. À supplier qu'on t'ouvre. Et on l'a fait, après que les plombs soient revenus. Et toi t'étais en pleine crise de panique, encore une fois. Et il y avait ces trois petits cons, ceux qui t'avaient enfermés, qui étaient en train de rire. C'était toujours comme ça ici, mais tu t'étais jamais plains. « T'en fais pas Yanaël, ça va aller. » qu'elle te dit l'animatrice. Non ça allait pas, et ça irait jamais.

« Yanaël.. » Tu réponds pas, tu restes concentré sur ce que t'écris. T'es un élève sérieux, même si t'as que dix-sept ans. Tu n'écoutes pas la voix de ton père, jusqu'à ce qu'il attrape ton bras et qu'il te tire vers lui. Tu l'as regardé de travers, toi. « Me touche pas. » Il t'a pas lâché pour autant, et toi t'as regardé sa main pendant un moment. T'aimais pas les contacts sociaux. Tu détestais ça, ton père le savait. « Il faut que tu m'écoutes maintenant. Ça suffit tes conneries d'éviter tes frères et tes sœurs, ça suffit, tu m'as compris ? » Et toi t'as froncé les sourcils. « Lâche-moi. » Il t'écoutait pas, tellement pas que t'as finis par poser tes mains contre son torse, et tu l'as poussé si violemment que toi-même t'as réussi à le faire tomber. Et t'as reculé, puis t'as récupéré tes affaires. « Plus jamais tu me touches. Genre, jamais. » Ton père savait pas ce que t'avais, ta mère non plus d'ailleurs. Et ton conflit interne entraînait des conflits dans ta propre famille. Tu avais vu ton père se relever, et toi tu t'étais éloigné, t'étais parti vers les escaliers. Et tu l'avais entendu t'appeler encore. Yanaël, encore. Tu t'étais pas retourné, t'avais monté ces escaliers. « C'est Naël. JUSTE Naël ! » Et après ça, ils t'avaient plus appelé Yanaël, non, jamais. Mais ils t'avaient bien emmené dans ce centre. Ton père t'y avais amené en fait. Tu t'étais retrouvé assis dans cette salle d'attente, aux côtés de ton père, et tu savais pas pourquoi. « C'est une psychologue Naël. On veut juste comprendre ce que tu as. » c'est ce que ton père t'avais dit. Toi, trop naïf, tu t'étais dis que c'était vrai. Même si t'avais finis par avoir l'impression qu'ils tentaient de lire dans ton âme en t'emmenant ici. Ton père avait quitté la pièce. Et puis cette conversation avait commencé. Que ressens-tu Naël ? Comment te sens-tu ? Qui es-tu ? De quoi as-tu peur ? Tant de questions auquel t'avais si mal répondu.

« J'ai l'impression de ne rien ressentir. Quand je respire, quand je parle, quand les gens m'approchent, j'ai jamais aucune réaction. J'ai jamais l'impression de devoir m'attacher à quelqu'un, j'ai jamais l'impression de devoir aimer les gens. J'ai jamais l'impression que ça ai une importance quelconque. Je sais même plus comment je me sens, comment je devrais me sentir, qui je suis ou ce que je devrais être. Je suis juste perdu. J'ai essayé de m'attacher aux gens. Mais ça me fait peur. Tellement peur que je me sens obligé de les faire sortir de ma vie, à l'instant même où je commence à m'y attacher. Et ça fait mal. Ça me fait tellement mal, ça me fait tellement souffrir que j'ai plus envie de ressentir ça. J'ai pas envie d'avoir de relations avec qui que ce soit, j'ai pas envie de souffrir pour ça continuellement. J'ai juste envie d'être seul. Je supporte plus les gens, ils me font peur, eux et leurs regards. J'ai peur d'être jugé, j'ai peur qu'ils me rendent encore plus faible que je le suis déjà, je veux pas être encore plus imparfait que ce qu'ils disent que je suis. J'ai juste envie d'être moi-même. J'ai juste envie de me sentir vivant. » Et ils l'avaient dit, ils l'avaient dit tout haut. Nous sommes désolés, votre fils a des troubles de l'attachement. Nous sommes désolés, votre fils est anthropophobe. Et vraiment désolés, ils peuvent rien faire pour toi.

« T'es conne, j'dois te le dire comment ? J'suis pas quelqu'un de bien. » T'as mal, t'as mal, tellement mal que t'en souffres, encore une fois. « J'suis pas une belle personne. J'ai buté personne mais j'ai fais suffisamment de mauvaises choses pour être considéré comme un monstre, et tu devrais pas rester avec quelqu'un de moi. » Tu vois qu'elle a envie de parler, alors que toi tu récupères tes affaires qui se trouvent chez elle. Candice. C'est ta petite-amie. C'était. T'es en train de la plaquer là. Pourquoi ? C'est ton cerveau qui te l'oblige quand ton cœur ne le veut pas. T'es amoureux, tu t'en rends compte. Tu t'attaches, et ça t'empoisonne. Ça empoisonne ton âme, qui craint d'en mourir sous ce poids. Troubles qui te pourrissent la vie, t'en peux plus, t'en as marre. Tu vois qu'elle va te parler, tu secoues la tête. « Non, non, commence pas, ferme-la. Juste, ferme-la. J'ai pas envie de t'entendre dire quoi que ce soit. J'sais, tu vas essayer de me trouver des qualités mais figure toi que j'en ai pas. J'suis une saloperie, c'est gravé en moi ces conneries. Et même si les gens disent qu'on change c'est faux, ici on change pas, on change jamais. C'est pas possible de changer quand t'es pas quelqu'un d'bien, c'est pas possible de changer tout court, c'est dans nos gênes d'être qui on est. Et moi j'suis un connard, c'est pas parce que tu vas me trouver une belle gueule que ça changera quoi qu'ce soit. » C'est tout ce que t'as dis, tu l'as pas laissé encaisser. T'es sorti, la porte a claqué, histoire terminée.

T'as roulé trop vite, t'en es conscient. T'es là, écroulé au sol. Le type de la voiture en face est sonné, il est pas prêt de se réveiller. Toi en scooter, vous vous êtes mutuellement foncés dedans. T'es en sang, au sol. T'es conscient, t'as mal, ça t'es jamais arrivé auparavant. De te blesser à ce point. Tes mains sont en sang, tu sens le scooter, lourd, bloquer une de tes jambes et t'as ce goût de fer dans la bouche. Même les égratignures sur tes mains saignent, et saignent encore. C'est pas normal, t'en es conscient. T'as attrapé ton téléphone. Tu voulais appeler les secours. Ce qu'il s'est passé après ? T'en as absolument aucune idée. Tu t'es réveillé plus tard, à l'hôpital. T'avais ta mère à tes côtés, elle avait lâché son nouveau mec pour venir te voir. Tu regardes autour de toi. Une perfusion pour la douleur, l'autre de sang. T'as perdu autant de sang que ça ? C'est pas normal. T'as du mal à respirer, ta poitrine te fait mal, tu sens quelque chose autour de ta jambe gauche, probablement un plâtre. Et tu vois bien le nombre de bandages qu'ils t'ont mit. « Qu'est-ce qu'il s'est passé.. ? » Ta mère attrape ta main, tu la serres doucement. T'as trente-deux ans, mais t'as encore besoin d'elle. T'auras toujours besoin d'elle. « T'as eu un accident, Naël. De voiture.. Et ça a faillit te tuer. Ton sang.. Ton sang ne coagule pas normalement. T'as faillis te vider de ton sang. » C'est comme ça qu'elle t'a apprit que t'étais hémophile. Alors qu'elle le savait depuis longtemps, et elle te l'avait jamais dit avant.

Tu la regardes sortir de la pièce. Sublime créature, sa vision te blesse presque autant que de savoir que tu ne l'auras jamais. Elle est supérieure à ton mauvais grade, bas et moins privilégié. Tu graves en ta mémoire ses cheveux blonds, ses doux yeux bleus. Sa voix qui te donne des frissons, ses lèvres que tu souhaiterais embrasser. Et tu fermes les yeux quelques secondes, le temps de reprendre tes esprits. Tu ne l'auras jamais, tu le sais. Elle est mariée et te semble heureuse. Elle est mariée et te semble presque amoureuse de ce chirurgien plus âgé qu'elle que t'as déjà vu, qui t'apporte ce genre de dégoût que tu rêverais de cracher devant eux. Mais tu n'en fais rien, parce que tu te doutes qu'elle ne sache même pas ton prénom, toi. Alors que toi, tu connais le sien. Bethany. Un nom qui est presque semblable à une douce mélodie pour toi. Mais tu secoues la tête. Reprends-toi Naël, c'est pas dans tes habitudes. Tu peux pas t'attacher à quelqu'un que tu connais même pas, parce que tu la connais même pas. Tu lui as adressé la parole une fois, pour avoir le dossier d'un patient, rien de plus. Tu soupires. T'as rien à faire d'autre que penser à une femme que t'auras pas, que t'aimes pas, à qui t'es pas attaché, qui t'attirerais pas si t'en avais envie. Tu soupires encore. Peu importe. T'attrapes le couteau pour t'occuper de ton travail. Et tu regardes ta main que t'as blessé avec la lame. Hémophile, tu sais que tu dois t'en occuper tout de suite. Alors t'es allé t'occuper de ça. Et tu l'as enfin sortie de ta tête, ta magnifique ange blonde.