D'abord il y a l'espoir. Celui d'un renouveau, celui d'un monde meilleur. L'excitation ensuite, parce qu'on s'imagine que tout est déjà fait, que rien ne pourrait empêcher une victoire. Et puis le doute. L'intuition, le rêve que ça se passe mal. Le songe d'une nuit de novembre où tout espoir est réduit à néant. Le bleu l'emporte sur le rouge et c'est la fin. La nervosité quand il est l'heure de déposer son bulletin dans l'urne, enfin, de façon symbolique puisqu'à Dallas tout est informatisé. Il y croit encore, mais au fond de lui, il sait, c'est déjà terminé. Tous ses amis qui lui assurent que tout sera plié à dix-neuf heures, il a envie de leur rire au nez, mais n'en fait rien. Le New York Times assure un quatre-vingt pourcent de chances de gagner. Et puis chaque minute passe, il est collé à son portable et voit l'aiguille dangereusement basculer vers la droite. L'Ohio est rouge. La Floride aussi. Les foules s'agitent quand le bleu remplit un état, mais c'est trop peu. Dallas est bleue, bien entendu. Mais le reste du Texas reflète la couleur du ciel, qui devient bien trop noir à son goût. Et le verdict tombe. Les deux-cent soixante dix électeurs requis sont dans l'escarcelle républicaine, et l'espoir est définitivement enterré.

Les trois jours qui suivent ont une teinte bien triste. Le silence règne dans son bureau. Ils avaient tous voté Hillary, bien entendu, le cabinet du procureur suit le chef, en majeure partie en tous cas. Il a écrit sa lettre de remerciement à la candidate démocrate dès les premières lueurs du mercredi et la déposer à la poste était la première tâche de sa journée. Le coeur n'est plus au travail. Le coeur n'est plus très présent à vrai dire. Il redoute le rendez-vous avec son père du vendredi soir. Il lui fera payer certainement l'échec national comme s'il n'a pas assez milité ou si c'est de sa faute. Jax est trop dépité pour affronter ce rendez-vous. La semaine prochaine, il sera plus fort. Dans trois jours il aura eu son week-end pour penser à autre chose. Même si le week-end veut dire qu'il se prendra certainement la tête avec sa femme. Peu importe, l'énergie sera revenue à ce moment là. Pour l'instant, il veut s'enfuir un moment, être injoignable le temps de digérer la nouvelle et d'imaginer un monde digne d'un épisode de Star Wars. Il buzze sa secrétaire. "Annulez le rendez-vous avec mon père," lance-t-il en se levant et enfilant sa veste de costume. "Je m'arrête là pour aujourd'hui." Il s'apprête à couper la communication mais elle revient à la charge. "Monsieur, votre rendez-vous de 15h30 est là, je l'annule également?" Il imagine la personne attendant juste en face de sa secrétaire qui a bien saisi tout l'échange qui vient de se passer. "Non, faites-le entrer," propose-t-il avec dépit. Un petit quart d'heure tout au plus. La porte s'ouvre sur la secrétaire. "Mademoiselle White, Monsieur." Elle s'efface et les secondes passent très lentement. Son sang s'est figé un instant. Mademoiselle White, ça ne pouvait quand même pas être... Le sang afflue à nouveau violemment dans ses veines quand une peau noire s'insinue dans son bureau. "Diana," murmure-t-il, oubliant tout sur son passage. Puis se reprend. Tousse, pour se donner de la contenance. La secrétaire est peut-être encore derrière la porte, même si elle se doute déjà de tout. "Mademoiselle White, enchanté de vous revoir," lance-t-il assez fort pour feindre une relation totalement professionnelle. Il s'avance vers elle, sa main en premier pour rencontrer la sienne, mais quand la porte se ferme, il hésite. Et vient poser un baiser sur la joue de son ancienne maîtresse qu'il n'a pas revu depuis que sa femme a posé le pied sur le sol américain, il y a de cela quatre mois. "Je t'en prie, assied-toi," propose-t-il en indiquant les sièges qui font face à son bureau.

Les nuages passèrent trop lentement. Quitter New York avait été difficile, et maintenant qu'elle était scotchée au hublot, Di voulait être à Dallas tout de suite. La mélancolie qui s'était emparée de son esprit ne l'avait pas quittée. Elle appréhendait quand même quelque peu son retour. Elle avait vu les conséquences qui avaient déjà pris vie au quatre coins des Etats-Unis, et elle savait qu'elle mettait les pieds dans un état majoritairement républicain. Pire, un état un peu trop Pro-Trump. Mais tant pis, c'était sa maison, depuis une quinzaine d'années maintenant. Di relativisa. Après tout, elle connait ça depuis toute petite, pourquoi cela changerait maintenant. Pas sûr qu'avec une femme démocrate présidente, la situation aurait changé, au Texas en tous cas. Le racisme n'est pas inscrit dans la constitution, mais dans les mentalités.

Pendant tout ce temps, elle avait pris le temps de réfléchir. Son idée avait bien muri et maintenant, il ne restait plus qu'une personne à convaincre, pour que l'idée puisse se muer en projet. Fort heureusement, Di avait réussi à obtenir un entretien rapidement, faisant jouer ses connexions comme on pourrait obtenir un rendez-vous chez un médecin si tant est qu'on ait déjà un dossier chez lui. Alors elle retournait voir Jax. Une partie en elle était nerveuse à l'idée de le revoir, tremblerait presque de croiser son regard magnétique. L'autre partie était absolument excitée et Di devait restreindre son imagination de s'enflammer et d'imaginer des retrouvailles romantiques. Ca n'allait pas être le cas. Sa femme était revenue, il était à nouveau marié et il n'allait pas vouloir reprendre leur relation là où elle s'était arrêtée. Après tout, Di avait insisté pour arrêter là, et il savait que c'était impossible.

Elle se trouvait maintenant dans le bureau de sa secrétaire, arrivée en avance, ne tenant plus en place. Elle l'imaginait derrière la porte, son attention perdue dans son travail, sans même se rendre compte du temps qui passe. Ses doigts de pieds se tordaient mécaniquement, tandis qu'elle mordillait ses joues et ses lèvres à la recherche d'un calme perdu. Mais sa voix vint soudain résonner après un vibrement provenant du bureau de la secrétaire. Son coeur s'emballa de plus belle. Elle allait enfin pouvoir le revoir. Elle entra dans le bureau quand elle y fut invitée. Di esquissa un sourire quand elle l'aperçut enfin. Jax semblait bien surpris de la voir et usa même d'un vouvoiement inutile. Mais il vint tout de même l'embrasser, en souvenir du bon vieux temps. Ses yeux se fermèrent alors qu'elle sentit ses lèvres sur sa peau, et huma quelques effluves de son parfum boisé. Comme il lui avait manqué. Ainsi qu'il lui avait indiqué, elle partit s'assoir sur un de ces fauteuils luxueux, et le suivi des yeux alors qu'il s'installait en face d'elle. "Bien..." commença-t-elle, ne sachant comment aborder le sujet de discussion majeur de ces trois derniers jours. "J'ai besoin de toi." On reviendra aux élections plus tard. "J'ai une idée de projet, mais j'ai besoin de toi pour la mettre en place."